L’une des principales difficultés, commune à la plupart des instruments lorsque l’on débute, est l’indépendance des membres. On a tous expérimenté cette propension qu’ont nos mains (et pieds pour les batteurs et les pianistes excentriques et contorsionnistes) à bouger ensemble.
La bonne marche
Au début, leur coordination nécessite un véritable effort mécanique et cérébral et l’on peut se sentir rapidement entravé dans sa progression. Car notre cerveau est ainsi fait qu’il n’est pas formaté pour gérer deux choses différentes à la fois. Sans entraînement préalable, l’attention se porte sur une main puis l’autre. Car l’indépendance des membres n’est pas innée, à l’instar d’un bébé qui fait l’apprentissage de la marche. Cet obstacle peut se surmonter mais il faut de la méthodologie et… du temps, car cela peut demander des mois ou des années selon les musiciens. Mais l’enfant grandissant pourra courir sans même y penser et bientôt, il sera adolescent et sera capable d’envoyer des textos tout en marchant…
Désynchronisé ou coordonné ?
On parle souvent de désynchronisation ou d’indépendance des membres, mais ces termes semblent supposer que l’un fonctionne sans l’autre, or ce n’est pas tout à fait ce que l’on cherche. En batterie, par exemple, chaque membre assure un élément constitutif d’un tout : le rythme. Par exemple, la grosse caisse va marquer les temps forts 1 et 3, quand la caisse claire va assurer les contretemps 2 et 4, que la charley sera frappée en même temps que la caisse claire, etc. Donc il ne faut pas envisager vos membres comme des chevaux équipés d’œillères qui évolueraient chacun à leur propre rythme, l’un au trot, l’autre au galop, etc., mais comme un attelage coordonné.
Un exercice à devenir fou
Commençons par un exercice simple, qui s’adresse à tous, quel que soit l’instrument. Il y a des chances pour qu’il vous rappelle un jeu que vous faisiez étant enfant.
Placez votre main gauche au-dessus de votre tête et celle de droite au niveau de votre ventre. La gauche doit effectuer un mouvement circulaire dans le sens des aiguilles d’une montre… tandis que l’autre tourne dans le sens inverse. Eh, pas si simple… Une fois que vous tenez le rythme sans vous tromper, on inverse. Effectuez les changements de plus en plus rapidement, en comptant jusqu’à 10 au départ, puis 9, puis 8, etc.
Piano, pianissimo
Essayons maintenant un exercice simple avec les mains séparées. Si vous êtes pianiste, exercez votre main droite sur une mélodie très abordable, de préférence avec des intervalles simples et le même écartement entre chaque doigt par exemple. Puis de la main gauche, jouez quelques notes d’accompagnement pour cette mélodie. Simplifiez au maximum, quitte à ne jouer qu’une ou deux notes d’accompagnement (des blanches et des rondes). Lorsque vous avez bien chacun des motifs en tête et que vous les jouez de façon presque instinctive, joignez les deux mains, mais lentement. L’idée est de court-circuiter la difficulté de la coordination par l’automatisme créé par la répétition.
Un autre exercice simple consiste à jouer mains ensemble, c’est-à-dire la même chose avec chaque main, une gamme par exemple, ce qui permet de délier les doigts au passage. Puis jouez la main droite seule. La gauche vient se superposer sur certaines notes seulement.
Autre type d’entraînement à réaliser régulièrement, celle du décalage : jouez une gamme en débutant par une note à la main gauche, la même à la main droite, la suivante de la gauche, la même de la droite, etc., jusqu’à la fin de la gamme.
On jongle d’une main à l’autre
Si vous êtes bassiste ou guitariste, essayez de jouer un plan simple que vous maîtriserez facilement, comme une gamme pentatonique majeure. Jouez-la très lentement, mais seulement à la main gauche. La main droite se contente de muter les cordes. Prenez le temps de décortiquer chaque mouvement d’une note à l’autre pour anticiper les transitions. Commencez à 60 bpm et augmentez petit à petit la vitesse. Pas trop rapidement. Procédez par palier, sans brûler d’étape, en vous assurant de maîtriser l’exercice à une certaine vitesse avant de passer au stade suivant.
Ensuite, passons à la main droite. La gauche, cette fois, ne doit pas bouger. Vous vous concentrerez sur le motif rythmique que vous aurez choisi et les sauts de cordes. Ce n’est qu’une fois que vous aurez bien le mouvement en tête que vous pourrez allier vos deux mains.
L’homme-pieuvre ou le Shiva des fûts
Le batteur est concerné au premier chef par la problématique de l’indépendance. Rassurez-vous, ils sont constitués comme tous les êtres humains, ils n’ont pas un cerveau par membre, mais savent plus que tout autre musicien les mobiliser à dessein.
Pour habituer votre cerveau de batteur à gérer autant d’informations, il convient d’aller lentement et progressivement. N’essayez pas d’attaquer tous vos éléments de votre kit bille en tête. Commencez par un rythme que vous exécuterez de votre main directrice. La main droite si vous êtes droitier, qui gère normalement la ride. Concentrez-vous seulement sur une séquence rythmique, sans variation, que vous répétez à l’envi. Ensuite, ajoutez la main gauche quand vous vous sentez suffisamment en confiance de la droite. Puis le pied droit et enfin le pied gauche. Analysez toutes les interactions : quels coups sont portés de façon simultanée, y a-t-il des décalages inopportuns, des irrégularités ?
N’hésitez pas à travailler aussi vos membres par combinaison de deux : main droite/pied droit, main gauche/pied gauche, etc.
Pour tous ces exercices, n’hésitez pas à jouer très très lentement pour bien avoir conscience de ce que chacune de vos deux mains joue. Rappelez-vous, rien ne sert de courir, il faut d’abord savoir marcher.